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19 mai 2014

Poèmes de Preben Mhorn

(Recueillis et commentés par Christian Cottet-Emard)


Extrait :

 

Instructions

 

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Il ne devrait pas y avoir grand monde le jour de mes obsèques

 

Au moins le cortège de mes vieux chagrins secrets

 

Esprits las mais présents dans les airs

 

Tel sera le vrai mystère non point ma mort si commune mais ces chagrins sévères et solennels comme des fantômes

 

Plus présents que mes amis qui ne seront peut-être pas là du reste car les amis font ce qu’ils veulent et ce qu’ils peuvent c’est pour cela qu’ils sont des amis

 

Plus résolus que mes ennemis qui n’existent d’ailleurs peut-être pas tant il est difficile d’avoir suffisamment de stature pour faire un véritable ennemi

 

J’essaierai de leur dire à tous amis peu présents et improbables ennemis

 

Pas de larmes ni pures ni de crocodile s’il vous plaît ne pleurez pas

 

Déjà que ce n’est pas drôle les vieux chagrins secrets qui survivent aux défunts et s’en vont de par le monde à la recherche d’un nouveau corps

© Éditions Orage-Lagune-Express, 2014

29 avril 2014

Carnet / De la fuite

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La soirée s’est prolongée autour d’une bonne table entre amis et artistes qui ont participé aux concerts du week-end. Discussions amicales, drôles, chaleureuses sur la musique, la littérature, la peinture et la danse avec des bonnes blagues et des anecdotes dans l’atmosphère détendue et conviviale qui a permis de fuir quelques heures les soucis quotidiens et l’affreuse grisaille du printemps local.carnet,concert,chromatica,morton feldman,musique,le grand variable,christian cottet-emard,éditions éditinter,éditions orage-lagune-express,bernard deson,blog littéraire de christian cottet-emard,femme-papillon,jardin,motoculteur,note,journal,prairie journal,palais de mari,piano

Au lit, un rêve constitué d’une série de variations sur le thème de la femme et du papillon a visité mon bref sommeil. Sans doute parce que mon livre Le Grand variable (éditions Editinter, épuisé) a été rapidement évoqué dans la soirée et que pour la première édition, le collage de mon ami Bernard Deson incluant une femme et un papillon avait été retenu parmi d’autres pour un projet de couverture. Je crois aussi que je peux classer ce genre de rêve surréaliste dans la catégorie des rêves de fuite.  

Changement d’ambiance mardi matin (à part le ciel toujours aussi bas et sombre). Je n’arrive pas à me concentrer pour écrire car je dois guetter l’arrivée de gens qui viennent retourner le jardin au motoculteur. Il s’agit de personnes qui travaillent dans le cadre d’une association de réinsertion sociale et professionnelle. Depuis mon bureau, j’entends ronfler le motoculteur. Au bout d’un moment, le bruit cesse et l’utilisateur du motoculteur vient me demander si je n’aurais pas un morceau de ferraille à lui fournir pour remédier par quelque bricolage improvisé à un problème technique. Je ne comprends rien à ce qu’il m’explique et je me retrouve à errer dans le garage à la recherche de ce fameux bout de ferraille dont je ne vois même pas à quoi il pourrait bien servir. Je déclare que je ne trouve rien, ce qui semble laisser l’homme perplexe. Je vois bien qu’il ne comprend pas  que je ne comprenne pas. Exactement le genre de situation qui engendre en moi un profond malaise. Pendant quelques instants de silence qui me semblent une éternité, nous nous retrouvons les bras ballants à nous regarder comme deux extraterrestres. Pour une fois, le téléphone sonne au bon moment et me fournit le prétexte de la fuite.

Toute ma vie, j’aurai fui les mêmes choses.

14 avril 2014

Un entretien avec Jean-Jacques Nuel

Échanges sur le court

(À l’occasion de la sortie du recueil Le mouton noir, éditions Passage d'encres)

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Des extraits de Contresens sont également parus sur les sites de La Cause littéraire, INKS passage d’encres, le blog de Harfang, Paysages écrits, La Toile de l’Un et dans de nombreuses revues papier : Arpa, Ouste, Les Cahiers du Sens, Harfang, Verso, Le Journal des Poètes, Le Spantole, Moebius (Québec), Patchwork, Microbe, Comme en poésie, La Grappe, Chiendents, Les Cahiers de la rue Ventura, Les tas de mots, Traction-Brabant, Bleu d’encre, Interventions à Haute Voix, Inédit-Nouveau, L’Autobus, Les hésitations d’une mouche…, les plus humoristiques étant publiés de temps à autre dans le magazine Fluide Glacial.

 

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Christian Cottet-Emard : Depuis 2 ans, on voit tes textes courts paraître dans de nombreuses revues littéraires et en recueils. Ils semblent faire partie d’un même projet. Peux-tu nous en préciser la nature et l’importance ? Est-ce une nouvelle forme de ton écriture ?

Jean-Jacques Nuel : Ce n’est pas une forme nouvelle. J’ai écrit mes premiers textes courts sur ce modèle au milieu des années 1980 et on en trouve les premiers publiés dans mon recueil Noria paru chez Pleine Plume en 1988. Cela fait près de 30 ans ! Ces premiers textes étaient très courts et plus proches de la poésie. Ce n’est vraiment qu’à la fin de l’année 2011 que j’ai repris cette veine qui s’est développée dans un sens plus narratif, avec davantage d’humour et d’absurde.

J’en suis actuellement entre 300 et 400 textes écrits, je donne cette « fourchette » car beaucoup sont encore en chantier, ils n’ont pas encore gagné ce que j’appelle leur « bon de sortie ». J’aimerais en écrire un millier, ce qui représente un bel objectif.

 

CCE : Le court, est-ce un choix ou une malédiction pour un auteur du XXIème siècle ?

Te considères-tu comme le « mouton noir » de la littérature ?

JJN : Un choix, oui, mais choisit-on ? L’écriture s’impose. J’écris depuis plus de 40 ans et me suis essayé à toutes les formes, avec des bonheurs (ou malheurs) divers : poésie, nouvelle, théâtre, roman… Je crois me connaître suffisamment pour en conclure que je suis vraiment à l’aise et dans mon élément sur deux longueurs de textes : le récit d’une centaine de pages (comme « Le nom » publié en 2005 chez A contrario) et les textes très courts de Contresens.

Si mon dernier recueil porte pour titre « Le mouton noir », ce n’est pas par hasard ! Le problème ou, pour être positif, l’originalité de ces textes, c’est qu’ils ne relèvent d’aucun genre particulier, tout en se tenant à la frontière de beaucoup. Ce ne sont pas des poèmes en prose, ni des contes brefs, ni des histoires drôles, ni des mini-nouvelles, mais un mélange d’étrange, d’humour, d’absurde et de poésie qui peut déconcerter les animateurs de revues littéraires et les éditeurs habitués à des genres bien établis et reconnaissables.

Me situant en dehors des genres reconnus, j’ai du mal à m’intégrer dans des cadres existants. Ainsi, bien que certains de mes textes contiennent à mon sens plus de poésie que bien des « poèmes » , je suis très rarement invité à les lire dans des programmes de lecture publique. Mais je ne peux, ni ne veux écrire autrement. Chaque fois que je me plie à un genre, comme chaque fois que j’écris “sur commande”, je me limite et régresse, mes textes deviennent artificiels et perdent en qualité. Tant pis si c’est plus dur et plus long pour m’imposer. Je dois aller au bout de ma démarche et de mon originalité. Je ne compte pas sur l’écriture pour gagner ma vie, et c’est une chance : je n’ai pas besoin d’animer des ateliers d’écriture ni de produire des ouvrages convenus pour subsister.

 

CCE : Dans ton dernier recueil Le mouton noir, on peut noter une prépondérance d’éléments autobiographiques par rapport aux autres ensembles publiés ces dernières années et dans lesquels dominent souvent l’absurde et un fantastique humoristique (plutôt ironique, dirais-je). Est-ce une évolution générale de ton œuvre ou un simple épisode ?

JJN : Il n’y a pas d’évolution à l’intérieur de l’ensemble  Contresens. L’impression d’autobiographie vient simplement du choix effectué parmi le réservoir de textes afin de répondre à la demande de Christiane Tricoit pour sa collection Trait court, chez Passage d’encres : je n’ai gardé que des textes à la première personne, et veillé à une certaine unité. Si évolution il y a dans mon inspiration, c’est plutôt entre Contresens et mon recueil plus ancien Portraits d’écrivains (Editinter, 2002) : les premiers étaient des textes plus longs, plus narratifs ; leur thème unique (et, à mon sens, leur limite) était celui de l’écriture, de l’écrivain. LesContresens sont beaucoup plus variés dans leur inspiration.

 

CCE : Parmi tes auteurs préférés, certains t’ont-ils amené plus particulièrement vers le court ?

JJN : Heureusement pour moi, je ne lis pas que des textes courts ! J’admire Joyce et Faulkner, qui ont écrit de grands romans. Mais j’ai toujours été attiré par le bref : les moralistes (La Rochefoucauld, Joubert, Chamfort…) ou des auteurs comme Buzzati, Ambrose Bierce. Sternberg m’a donné la forme avec ses « Contes brefs » : un micro texte avec un titre en majuscules et un bref développement. Mais il ne m’a donné que le cadre. Je n’apprécie pas beaucoup l’inspiration de Sternberg et préfère de loin celle de Topor. Topor est vraiment une référence pour moi, le champion de l’humour noir.

Dans tous ces auteurs, j’aime aussi la clarté, une volonté d’être lisible, comme de parler au plus grand nombre. Je ne supporte pas l’hermétisme ou l’intellectualisme. Mon écriture est très classique, ce qui permet de faire ressortir davantage l’humour et l’absurde, par le décalage entre le fond et la forme.

 

CCE : Le court relève-t-il plus de la littérature ou de la philosophie ? Le court permet-il de se libérer des autres genres littéraires, voire de les faire dialoguer entre eux ?

JJN : J’espère que cela relève toujours de la littérature ! C’est vrai que certaines formes courtes (je pense aux Voix de Porchia, par exemple) sont assez proches de la philosophie. Je lorgne parfois vers la métaphysique. Un court peut être un long en réduction (et l’auteur un Jivaro réducteur de textes) : un polar, un roman d’amour, une histoire fantastique peuvent être condensées en quelques lignes. Mais le court, qui s’inspire de tous les genres, est encore meilleur quand il ouvre un nouvel espace littéraire et devient un autre genre à part entière.

 

CCE : Tu as lu un certain nombre de tes textes courts sur scène. Il en est d’accessibles en vidéo sur internet. Le court se prête-t-il bien à ce genre de performance ? Comment le public réagit-il ?

JJN : J’ai tenté l’expérience de lire des extraits devant ma webcam et de les mettre en ligne sur Youtube, la technique est facile. À Lyon, Wexler et Houdaer m’ont invité à lire en public. La dimension humoristique des textes passe bien. Mais je ne suis pas un professionnel de l’oral, ce serait bien meilleur lu ou représenté par un acteur.

L’idée est de faire vivre le texte sous d’autres formes. La vidéo n’est qu’une des pistes. On peut imaginer d’autres choses : une mise en scène théâtrale d’un choix de textes, une exposition où dialoguent textes brefs et dessins ou peintures…

 

CCE : Tu as connu la grande époque des revues “underground” dans les années 70/80 du vingtième siècle. Nombre de ces publications privilégiaient le court non seulement par choix mais encore pour des raisons de contraintes matérielles (fabrication, impression, diffusion par la poste…) Le fait d’avoir beaucoup publié dans ces revues a-t-il influencé ton écriture au point d’augmenter ton attirance déjà naturelle pour le court ?

JJN : Il y avait effectivement beaucoup de revues qui aimaient le court, comme “Gros textes” qui est devenu une maison d’édition. Et une revue de nouvelles aujourd’hui disparue “Nouvelle Donne”, n’hésitait pas à publier des micro-fictions. Et je n’oublie pas Fluide Glacial où je publiais non seulement des blagues et aphorismes drolatiques, mais aussi de petites histoires. Tout cela m’a conforté et encouragé.

 

CCE : La publication en ligne qui constitue à mon avis le prolongement de l’effervescence des petites revues et de la micro-édition à la fin du vingtième siècle te paraît-elle un bon support pour le court ?

JJN : Un bon support, oui, d’autant plus que la lecture sur écran convient mieux aux textes courts qu’aux longs. On peut lire par exemple une petite nouvelle sur son smartphone lors d’un voyage en métro. J’ai publié des textes sur des revues en ligne. Mais je reste indéfectiblement attaché au papier.

 

Photo : Jean-Jacques Nuel en lecture dans une librairie.